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07 Fév2016

PHARMACIEN, BIEN PAYE ?

Il y a quelques semaines, le 24 janvier 2016, était diffusé sur M6, dans l’émission Capital « les grands secrets des petits commerçants », un sujet sur les petits commerçants et notamment sur les pharmaciens; précisons ici qu’il s’agit des titulaires (propriétaires des officines) et non des adjoints. Ils seraient les mieux payés des commerçants en France.

Cette émission est là pour apporter de l’information, souvent de l’information simpliste, difficile de faire le tri quand on n’est pas spécialiste. Le principal étant de rester accrocheur pour conserver l’audience. Une grande audience si possible pour que l’émission soit plus facilement vendable auprès des annonceurs publicitaires. Rien de nouveau mais il est bien de la rappeler.

Je voulais à mon tour apporter d’autres informations.

Tout d’abord, pour donner le ton, le journaliste commence par classer le top 3 des commerçants les plus riches en France. Le pharmacien arrive en tête; mais comparer les tabacs, les pressings et les pharmacies, est-ce crédible ? Comparer un vendeur de journaux, un teinturier-repasseur avec un pharmacien ce n’est pas crédible. Comparer des métiers envisageables en quelques semaines avec un métier envisageable après six ans d’études, c’est vraiment du n’importe quoi.

L’introduction

Dans cette émission « les grands secrets des petits commerçants » le journaliste annonce expliquer pourquoi certains pharmaciens gagnent mieux leur vie que d’autres avec un salaire mensuel de 12 000 Euros selon la fédération des centres de gestion agréés. Rien ne dit comment est calculé ce chiffre qui me semble exagéré.

Mais c’est sûr, de suite les téléspectateurs accrochent car en période de crise se pose de question de l’argent. Alors cela fait quoi de savoir que votre pharmacien bien aimé (93 % des français lui font confiance) gagne beaucoup d’argent avec vos ordonnances ? Faire rêver les gens sur des salaires importants, c’est bien pour l’audience.

Un sujet sur la pharmacie ne serait pas complet d’après M6 sans Monsieur Leclerc et ses parapharmacies donc Monsieur Leclerc et ses parapharmacies sont placés. Et le gentil Monsieur Leclerc va en profiter pour bien se placer.

Alors que nous sommes dans une parapharmacie, on y parle médicaments avec un pharmacien non inscrit à l’ordre des pharmaciens (l’ordre n’est plus à une bêtise près). Il va rassurer les pauvres citoyens malades en disant la vérité lui. Il ne les oublie pas, il sera toujours là pour les aider.

Ces pauvres citoyens malades paient trop cher les médicaments. Oui trop cher car les pharmaciens veulent encore et toujours se protéger pour remplir leurs poches, ces nantis n’en auront jamais assez. Monsieur Leclerc parle comme si en claquant des doigts, du jour au lendemain, il serait capable de vendre des médicaments. Il a certes des moyens, les lieux, les pharmaciens mais il n’a pas le stock de médicaments. « S’il n’y a pas de concurrence, il y a des gens (il veut dire les pharmaciens je crois) qui vont s’en mettre plein les poches ». Vive le bal des hypocrites. Autant que ce soit lui, se dit Monsieur Leclerc.

Les quelques minutes octroyées à l’enseigne seront donc utilisées pour inculquer l’idée que les supermarchés Leclerc seraient mieux que le pharmacien indépendant car moins chers. L’exemple du test de grossesse est très bien. Bye bye la confidentialité, Monsieur Leclerc ne s’en embarrasse pas. Il communique sur le prix et pourtant son programme de fidélisation, la carte E. Leclerc, garantit plus que des offres tarifaires. Elle garantit aussi une traçabilité de la vie privée via les comportements d’achat. Mais les gens y pensent-ils ? Ils veulent des réductions, ils en auront et peu importe à quel prix. Alors je ne sais pas lequel du pharmacien ou de Monsieur Leclerc prend les gens pour des imbéciles mais j’ai ma petite idée. Et j’oubliais, cette mamie au sac fauchon en tissu, fidèle cliente, enchantée du lieu et de l’équipe Leclerc, la caution Leclerc. Quelle chance de l’avoir eu le jour du tournage, elle incarne tellement la cible Leclerc, la pauvre.

Bon, Leclerc c’est fait. Passons à la deuxième étape de l’émission : pourquoi certains pharmaciens s’en mettent plein les poches ?

La démonstration

En France, il y avait en 2015, 21 772 pharmacies presque 22 000 comme le dit le journaliste sauf que ce nombre a baissé de – 0.6%. Une pharmacie ferme tous les 2 jours.

Le sujet est construit sur quatre exemples : le drive et le pharmacien dynamique en costume, l’aromathérapie et le pharmacien grisonnant au pull bleu, la pharmacie PHR et la pharmacienne baby-boomer en cuir et enfin la jeune plateforme internet.

 

LE DRIVE ET LE JEUNE PHARMACIEN DE GRANDE SURFACE EN COSTUME

Un pharmacien, associé, à la tête de plusieurs structures est le premier a être présenté dans l’émission avec l’exemple de sa réussite : le drive, oui le drive comme chez Mc Do où les frites sont remplacées par les boîtes de médicaments. Les clients avec leur chien dans la voiture témoignent très positivement du nouveau service. Ils sont très contents de ne pas sortir. Le magazine nous présente une jeune femme, très agréable, délivrant les médicaments et dit « c’est pas des z’hamburgers que je délivre c’est des médicaments ». L’absence d’élément permettant de dire que cette personne est une pharmacienne m’a interpelé. Étant donné qu’elle est seule à l’image et sachant que la délivrance est soumise au contrôle du pharmacien, j’émets l’hypothèse qu’elle est bien doctore en pharmacie pour gérer le drive mais j’ai quelques doutes. Sans la présence d’un pharmacien, ce drive, face caméra, se trouverait dans l’illégalité (article L4241-1 du code de la santé publique), c’est dire le sentiment d’impunité qu’il pourrait y avoir dans certaines structures officinales.

L’autre illustration de sa réussite est l’alignement des comptoirs sous lumière artificielle, des gens qui font la queue avec un numéro, des affiches bas prix pour booster les ventes avec des pauvres citoyens malades qui trouvent ça « sympa » ou encore des comptoirs « confessionnaux » selon le dirigeant (merci mon dieu !). Je plains les employés et croise les doigts pour ne jamais travailler dans ce genre d’endroit !

D’ailleurs en parlant d’employés, il n’y a eu aucun commentaire de leur part sur cette réussite officinale, c’est dommage car en backstage cela doit être tellement croustillant. J’aurais adoré entendre d’autres versions. J’ai ma petite idée sur ce qui doit être la vie au travail d’autant plus quand je vois la dernière venue. Alexandra, la toute jeune associée du business man, 32 ans, inscrite à l’ordre des pharmaciens au tableau A, celui des titulaires s’il vous plaît, négociant les prix des vernis à ongles.

Eh oui, là vous ne comprenez plus. Précédemment je ne voulais pas comparer les divers vendeurs avec les pharmaciens et vous avez raison. C’est là tout le problème de la profession. Tantôt le pharmacien est un scientifique, tantôt il est simple vendeur de vernis L’Oréal®. Pourquoi faire 6 ans d’études scientifiques, si c’est pour négocier des vernis à ongles avec l’Oréal®? Pourquoi faire 6 ans d’études alors qu’une formation en école de commerce suffit pour cette jeune dame ? Pourquoi faire 6 ans d’études pour être filmée en train de changer les flyers ou les affichettes de prix ? Et puis pourquoi faire 6 ans d’études sur le médicament pour entendre une inscrite à l’ordre des pharmaciens dire : « Il faut que les gens se disent oui je vais en pharmacie pour acheter mon verni à ongles et mon soin pour les ongles, ce qui aujourd’hui n’est pas forcément une habitude pour nos clients et nos patients oui » ?

Et le meilleur pour la fin avec une posture intéressante ; le sourire en coin, vous remarquerez qu’en fin de phrase, Alexandra ferme les yeux, comme si elle n’assumait pas vraiment. Sinon on aurait pu voir comme dans les personnages de Tex Avry, les dollars tourner dans ses yeux : « trouver des nouvelles marques qui sont peut-être moins distribuées que les marques traditionnelles sur lesquelles on va avoir des meilleures conditions commerciales et du coup sur lesquelles on va mieux gagner notre vie ».

Ici on parle, clients, collaborateurs, optimisation, déclenchement d’achat, faire ses courses, marge, 20 000 références. Ce discours n’est pas naturel pour Alexandra, 6 ans sur les bancs de la faculté de pharmacie laissent des traces ; faire des études de pharmacie n’est-ce pas pour parler du médicament ? Elle illustre à elle seule, aussi jeune soit-elle, la difficulté à rentrer pour certains pharmaciens dans un process de vente massive alors que la théorie leurs ressasse le conseil médicament, le conseil médicament et encore le conseil médicament. Comment concilier business, proximité, conseil, sécurité sociale et humanité ?

C’est là qu’entrent en scène les formateurs avec le deuxième exemple.

 

L’AROMATHÉRAPIE ET LE PHARMACIEN GRISONNANT AU PULL BLEU

Stop, don’t worry … Elle est belle, elle est dynamique, elle est intelligente, forcément elle est doctore en pharmacie suis-je bête, elle connaît tout, elle sait tout, elle est super formatrice ou comment sauver le rayon d’aromathérapie du pharmacien grisonnant au pull bleu ?

Les formateurs sont excellents mais ils ne sont pas installés, ben pourquoi ? Ben parce que la formation rapporte plus que la pharmacie, patate ! Et puis heureusement pour nous, parce que sinon ils nous couleraient tous, ils sont trop forts !

Les formateurs se donnent donc à la cause officinale. Votre chiffre d’affaires d’aromathérapie ne décolle pas ? Super formatrice est là et les chiffres vont doubler après son passage : d’un flacon par semaine vous passerez à deux mais ça ne s’arrête pas là. Elle vous dira aussi si vous êtes trop cher. Chuutttt, elle connaît les prix des confrères et consœurs car vous n’avez pas le temps d’aller prospecter à droite et à gauche. Entre les rejets factures, les charges, les impôts, ce personnel incapable, ce n’est pas possible.

Stop, be happy, positive attitude avec super formatrice. Un deux trois, c’est parti pour une semaine de formation payée en grande partie par l’État (est-ce vraiment vrai ?), c’est cadeau. Seulement 200 Euros à la charge du pharmacien, c’est cadeau, surtout quand le retour sur investissement est visible de suite.

Et c’est vrai, le pharmacien grisonnant au pull bleu envisage de nouveau des formations, il est très content de super formatrice, elle aussi d’ailleurs, les rayons sont parfaits, elle le stimule grave ! Ici on parle patientèle (exit les clients !) on parle conseil (oui c’est pro !), on dit petit problème de lisibilité et complément de revenu pour gagner plus.

 

LA PHARMACIE PHR ET LA PHARMACIENNE BABY-BOOMER EN CUIR

« Faire des travaux dans une pharmacie sans technologie, pas envisageable » pour la titulaire. Alors la nouvelle officine est Geek et le directeur général PHR est très heureux de montrer le fruit de son imagination. Des écrans, du digital, de la radio, du parfum, voilà la pharmacie des temps modernes.

L’idée me séduit mais je me demande si cela est effectivement une aussi bonne idée que cela. Combien de personnes utilisent le matériel mis à disposition ? Pour quelle efficience ? La question n’est pas posée. Je vois mal une personne âgée, connaissant la pharmacie depuis 40-50 ans, s’inscrire sur le tableau d’accueil avec un ticket. Cette digitalisation est le reflet de la cadence de délivrance et le signe d’un service rapide comme à la poste et vous connaissez la réputation de la poste … A cela doit être associée une politique des prix serrés. Pour une pharmacie à l’image résolument moderne, il y a la boite pharmaceutique. Vous connaissez wonderbox® dans le tourisme ? c’est pareil mais pour la pharmacie avec la boîte spécial hypertension, la boite spécial diabète, la boite spécial voyage, etc mais combien sont réellement vendues ? Est-ce vraiment une attente des clients ? Je ne le sais pas en revanche le commentaire conclut à une augmentation du chiffre d’affaires. Cela ne mange pas de pain et de toutes les façons, personne n’ira vérifier si ces déclarations d’augmentation de chiffre d’affaires sont vraies. Et puis vous le savez bien, pour un journaliste, le sujet doit être fun et génialissime, alors ce n’est pas vraiment étonnant de voir que ce qui est présenté est le must de la pharmacie. Une chose est sûre pour moi, je ne rêve pas de cette officine imaginée par le directeur général de PHR qui lui certainement est le grand gagnant de l’histoire.

Mais après le must, il est facile de terminer avec le must du must 2016, la start-Up !

 

LA JEUNE PLATEFORME INTERNET

Pas de question à se poser, une Start-Up ça marche, cela va s’en dire ; ça soulève des fonds, c’est génial, ça double son chiffre d’affaires chaque année, c’est super génial, ça booste le domaine d’activité, c’est jeune, ça pulse, ça joue au ping-pong entre deux réunions en chaussettes de coton bio, c’est extra génial et puis un jour c’est fini. Je suis méchant, je vous l’accorde. Pourquoi être méchant envers une entreprise qui embauche ? En ces temps de crise ce n’est pas négligeable ! La pharmacie de demain se trouve à Montpellier, au soleil. En réalité il s’agit d’une plateforme qui propose aux pharmaciens de vendre des produits partout en France. Des produits oui mais pas des médicaments.

La pharmacie est définitivement un ensemble de confusions tant sur les mots que sur les produits à vendre. Il est vrai que dans certains pays une pharmacie peut vendre de la lessive, des cartes mémoires pour appareils électroniques ou encore des brosses de coiffage et plein d’autres articles. Alors en France, quelles pharmacies voulons-nous ?

Conclusion

L’émission n’est pas un modèle d’information méticuleuse, elle est grand public. Elle a survolé le sujet de la rémunération à travers quatre exemples organisationnels sans faits chiffrés sur la rentabilité. Alors pharmacien bien payé ? Quelques titulaires, certainement OUI, mais loin de la majorité et en ce qui concerne les adjoints, la réponse serait moins franche hélas, n’est-ce-pas Mesdames et Messieurs les adjoints de France ?

Une chose est sûre, le monde de la pharmacie s’est agité après cette diffusion mais la réalité c’est que la pharmacie n’échappe pas aux petits prix, elle tend à muter vers le modèle de la grande distribution.

Pharmacie Brésil

Il s’agit de la fin de la pharmacie de mes débuts, il y a 20 ans. Triste ? je ne sais pas car le monde n’est pas figé mais étonnant oui.

Le médicament représente encore 75 à 80 % du CA des pharmacies et pourtant c’est comme si, il fallait absolument renverser cela. Peut-être parce que le conseil qu’il soit associé ou pas est techniquement très complexe avec des clients qui finalement disent vouloir des conseils mais qui en réalité n’y sont pas entièrement sensibles et nous nivellent, nous professionnels de la pharmacie par le bas. Les clients privilégient les prix bas, pas le professionnalisme.

Vous remarquerez que le mot « médicament » dans cette émission n’a été prononcé à aucun moment pas les pharmaciens. Seul Leclerc en a parlé. On l’impression que les pharmaciens ne visent que le développement de la parapharmacie alors que Leclerc ne cesse de viser le médicament. Un mélange des genres étonnant encore. Le médicament ? Pas le sujet de l’émission vous me direz. Peut-être, mais cela montre bien la difficulté de parler de la pharmacie. L’officine englobe finalement tellement de choses, un peu tout et n’importe quoi aujourd’hui et c’est bien là son point faible. C’est bien le modèle du mini-supermarché que l’on voit s’organiser dans l’officine sans le nommer car déontologiquement nous n’aimons pas cette idée.

Les syndicats peuvent continuer à s’agiter pour exister, mais quand je lis Monsieur Gilles Bonnefond, Président de l’USPO : « Mettre en exergue les méthodes d’une minorité de confrères qui plagient la grande distribution, c’est méconnaître et occulter le professionnel de santé, spécialiste du médicament qu’est le pharmacien au service de patients de plus en plus fragiles. C’est méconnaître toute la réglementation qui permet à tous les français d’avoir une pharmacie d’officine à proximité de leur domicile, des pharmaciens disponibles et attentifs aux besoins de tous, très loin de la consommation et de ses dérives. » Je me dis que la mutation intelligente du métier de pharmacien va être compliquée mais surtout je me demande ce que Monsieur Bonnefond absorbe. En quelques mots, il dit l’inverse du réel, ce don incroyable est à souligner. La pharmacie est comme organisée en plusieurs mondes parallèles, un titulaire/un monde et on ne sait pas lequel écrasera les autres.

Il est temps de redéfinir le poste et le rôle du pharmacien car oui la voie officinale qui se dessine ne mérite plus 6 ans d’études. Les petites officines, inéluctablement ferment les unes après les autres. Mais faisons le pari qu’elles reviendront. Car à cause des méthodes des grandes surfaces incapables de faire du sur-mesure, la santé va « s’élitiser » dans un même temps. L’élite, les clients les plus aisés seront encore mieux soignés via de nouveaux circuits et les petites structures reviendront pour davantage de services pharmaceutiques de proximité. Six ans d’études, dans ce cas, là aura largement une justification. Reste à savoir combien et comment monnayer ces services ?

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